Vintimille / We’re welcome : histoire d’une pirouette

Retour sur la situation du 29 juin 2015 à Vintimille, par le collectif Eat the Rich - CampiAperti, présent sur place avec une cuisine de rue, en solidarité aux migrants bloqués à la frontière.

Contribution du collectif bolognais présent sur place "Eat the Rich - CampiAperti", publiée en italien le 29 juin.

La rencontre du conseil européen à Bruxelles vient de se terminer, les vies de dizaines des milliers de migrants ont été à nouveau l’objet de la farce institutionnelle, traités comme s’ils étaient des objets à “redistribuer, replacer” : des corps privés de la liberté de décider. Pourtant ici à Vintimille, où une partie de cette vie est confinée sur les récifs depuis désormais trois semaines, c’est à eux que revient la parole. Abandonnés à eux-même par le jeu de l’épuisement imposé par l’absence de décisions et d’aides institutionnelles, comprimés entre les camions de la Gendarmerie et ceux de la Polizia, constamment photographiés par les agents en civil qui traînent dans le bar qui se trouve près des récifs. On comprend tout de suite que personne ne peut les faire renoncer. Ils jouent, ils chantent, ils dansent et ils rigolent le vendredi soir avec les personnes solidaires arrivées des régions proches.

Ce soir-là, pour la première fois, nous n’avons pas cuisiné tout seuls. Depuis le début de l’après-midi, ils sont venus nombreux, apportant les saveurs et les recettes des pays qu’ils ont quitté, les comparant avec nos plats et échangeant les casseroles, les dégustations et les aides. Ibrahim, qui semble avoir des excellentes capacités en cuisine, nous demande plusieurs fois de goûter les plats pour comprendre à quel point en est la cuisson ; et à 20h, il nous offre un plat de chorba (il ne peut pas encore manger car il observe le ramadan et le soleil ne s’est pas encore couché) et avec un sourire, il nous dit “You’re welcome”. Bienvenus dans mon histoire, dans ma vie. Une belle pirouette : c’était nous, ceux qui nous étions rendus à Vintimille pour leur dire “Bienvenue”.

Quand la musique s’arrête et les tambours ne jouent plus, le silence n’est pas encore tombé. Cette nuit encore, les matchs de foot dans le parking, où se trouve notre cuisine, nous tiennent éveillés jusqu’à tard. Puis la journée de samedi commence lentement et c’est déjà l’heure de déjeuner quand les premières discussions entre les migrants commencent. Le climat commence peut-être à devenir plus lourd à cause de la fatigue, mais tout se compose bientôt en une assemblée plurilingue et nous sommes aussi impliqués dans le débat. Après avoir capté l’impatience face à l’énième “rien” xénophobe produit par la rencontre de Bruxelles, nous avons retrouvé les camarades du Presidio No Borders Ventimiglia, certains migrants et quelques autres personnes solidaires arrivant du nord de l’Italie et de Nice. La discussion a été immédiatement pragmatique, du fait de l’obligation de faire face à la condition d’urgence et d’abandon dans laquelle vivent les plus de 150 personnes qui campent sur les récifs, avec les exigences vitales de tellement de gens et avec le contrôle strict et fasciste des gouvernements européens. La discussion matérielle, mais pas pour autant a-politique, nous a mis face à une impuissance de fond : considérant les diverses possibilités, il a paru évident que tout ce que l’on peut faire reste très peu au vu de la situation générale. Nous avons dû nous accommoder de ça, au cours des cinq assemblées que nous avons faites pendant la journée. C’est avec ça qu’il faut faire ses comptes.

Quelqu’un décide de faire un tour pour contrôler ce qui se passe dans la ville et aux autres frontières. Le spectacle est toujours le même : blocages et police dans les rues, contrôles continus et, en plus, la présence de containers aux frontières, où les militaires français emmènent et retiennent les migrants arrêtés sur les trains et sur le territoire. Arrivés à la frontière, la scène qui se présente rend immédiatement clair quel est le traitement réservé à ces derniers : une famille syrienne, enfermée dans un container, n’a été sortie que grâce à l’arrivée de camarades qui se trouvaient par hasard sur place. La famille, effrayée et dépaysée, raconte avoir été arrêtée sur le train pour Bruxelles avec un billet régulier et emmenée là-bas suite à la confiscation de leur billet. La famille avait aussi des passeports réguliers et l’injustice nous paraît doublée, puisque quand nous traversons les frontières au cours des pauses de notre journée, aucun papier ne nous est demandé.

La police française se montre évidemment indifférente à la demande de les leur rendre. Heureusement, quelques minutes plus tard, pas loin de là, les quatre rencontrent un bus et le chauffeur s’arrête exprès pour les faire monter et les emmener à Nice en France. Mais personne ne veut s’arrêter là, les terres françaises gouvernées par Hollande ne sont plus une destination privilégiée pour ceux qui débarquent sur les côtes italiennes. Ces gens, pour la plupart arrivées du Soudan ou de l’Érythrée, nous disent vouloir se rendre jusqu’au nord de l’Europe. Nous ne pouvons pas les accompagner dans ce long voyage, mais jusqu’au moment où cette situation de résistance contre l’exclusion continuera, nous devons nous engager pour être de plus en plus nombreux là-bas, avec le cœur mais surtout avec les corps à leurs côtés. Et notre cuisine, qui est désormais devenue un point de référence pour tout le campement, malgré les différentes tentatives de la part des forces de l’ordre de nous éloigner avec l’excuse des bonbons ou de l’eau. Nous sommes persuadés qu’il est important de permettre d’abord de prendre un repas, puis la possibilité de le préparer ensemble, ce qui nous a permis de dépasser le modèle d’assistentialisme de la Croix-Rouge (plusieurs jours de protestation ont été nécessaires pour faire déplacer un camion de nourriture de la Croix-Rouge française de sous le soleil). Même dans les difficultés, un objectif a été atteint, celui de parler ensemble avec la langue que nous préférons : celle de la chorba et des pâtes au pesto, de la solidarité conviviale qui se retrouve aussi dans la lutte.

Gastronomia precaria e clandestina – Eat the Rich e CampiAperti

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